Le Télégramme du 17 février 2021 Aline Le Guluche

Aline, auteure d’un livre, a appris à lire à 50 ans

« Tous les matins, je m’efforce de lire trente minutes à voix haute. Je n’ai pas encore l’aisance de ceux qui peuvent anticiper les mots. La voix haute m’oblige à faire plus d’efforts et je m’améliore », confie Aline Le Guluche. (Photo DR)

Aline Le Guluche, qui longtemps a souffert d’illettrisme, a appris à lire à 50 ans. Elle vient de sortir un livre (1) qui retrace son parcours de fille de petits agriculteurs, tiraillée entre les travaux de la ferme et les souffrances qu’elle endurait à l’école du fait de sa dyslexie. Le livre, qu’elle a écrit seule, est un beau pied de nez aux affres de la vie.

Vous êtes née dans une famille de petits agriculteurs des Yvelines. Comment s’est déroulée votre enfance ?

Nous étions huit enfants très souvent tributaires des travaux de la ferme. Sans nous, l’exploitation n’aurait pas duré, je le pense. Mon père, qui avait tendance à boire, était extrêmement dur avec nous. J’ai vécu des scènes de violence. Mes années d’école ont été un calvaire. Mon premier instituteur était un tyran qui n’hésitait pas à nous violenter si on faisait des fautes. J’étais dyslexique et personne ne le savait. À l’époque, on ne posait pas de diagnostic sur ces problèmes. J’ai fait ma première rentrée à l’âge de 6 ans et j’ai redoublé mon CP. J’en souffrais énormément. Pour moi qui étais très timide et émotive, l’école, c’était l’enfer. Grâce à un instituteur, Monsieur Beau, que je revois encore aujourd’hui, j’avais pris confiance en moi. Il cherchait toujours à savoir d’où venaient mes difficultés et comment en venir à bout. Il s’étonnait aussi que je sois si bonne en maths. Malheureusement, on ne fait pas toute sa scolarité avec un seul enseignant. J’ai poursuivi comme j’ai pu jusqu’à mes 15 ans en étant, constamment, en échec. Ensuite, j’ai été embauchée dans une usine de pâtisserie, puis dans un service de restauration d’un hôpital. À présent, je suis aide à domicile et ce métier me plaît beaucoup. Ma vie n’a pas été un long chemin tranquille, loin de là.

 

Comment faisiez-vous pour cacher votre illettrisme ?

Au travail, je pouvais prétexter que la personne qui rédigeait les consignes avait une écriture indéchiffrable. Ou que j’avais oublié mes lunettes. Je trouvais toujours une parade. Certaines démarches, je les maîtrisais très bien. Comme les papiers de la Sécu. En revanche, dès qu’il s’agissait de rédiger une lettre, mon mari ou, plus tard mon compagnon, prenaient le relais. Ça me mettait constamment en situation d’infériorité et j’étais trop dépendante des autres.

Le soir, avec mes deux enfants, je leur racontais une histoire. Je brodais, j’inventais à partir des illustrations de leurs livres. J’ai toujours eu une imagination assez fertile et ça m’aidait. Arrivés au collège, mes enfants se sont rendu compte que leur mère avait des difficultés avec l’écrit. Que ça n’était pas son truc. Mais ça s’est arrêté là. L’illettrisme ne m’a pas empêché d’avoir mon permis de conduire. D’ailleurs, j’ai eu mon code du premier coup. Les questions étaient lues à l’oral, une chance. Utiliser la voiture était parfois un cauchemar. Régulièrement, je me rendais à Paris. Je mémorisais visuellement les panneaux. Il m’arrivait de me perdre et c’était l’enfer. Je m’arrêtais et je demandais ma route. Parfois, les gens bien intentionnés me notaient toutes ces indications sur un bout de papier, ce qui, bien sûr, n’arrangeait rien.

« Mes enfants, eux, ont suivi des études supérieures. Chez nous, le cercle de l’illettrisme est brisé et j’en suis fière ».

Comment vous êtes-vous sortie de ces difficultés ?

J’ai endossé des responsabilités syndicales et ça m’a donné réellement confiance en moi. Je me suis rapprochée de la DRH de l’hôpital où je travaillais. Après avoir essuyé deux refus, j’ai obtenu une formation sur les « compétences clé ». Tous les vendredis, à raison de trois heures hebdomadaires, je me suis formée et décomplexée. L’ambiance était vraiment formidable. Plus tard, j’ai rencontré Julie Audoin, directrice générale de Lancôme et responsable du programme de lutte contre l’illettrisme, « Write Her Future ». Nous avons animé une conférence ensemble aux côtés d’Isabella Rossellini, qui est engagée aussi dans cette voie. J’ai fait part à Julie Audoin de mon projet d’écrire un livre. Elle a proposé de corriger les épreuves. Voilà comment tout cela a commencé. J’ai écrit mon livre « J’ai appris à lire à 50 ans », petit à petit, à raison de cinq pages tous les jours. J’ai pleinement profité du confinement de l’an dernier pour boucler ce projet. Les éditions Prisma l’ont mis sous presse en fin d’année. Une version audio vient de sortir. Une manière de délivrer mon message à ceux qui ne peuvent pas lire. C’est moi qui l’ai enregistrée.

« J’ai peur pour les années à venir. Je pense que le fossé social va se creuser de plus en plus et que l’illettrisme fera des ravages. La dématérialisation des démarches, sur ordinateur, et donc par écrit, va briser des quantités de gens si on ne fait rien ».

Que lisez-vous en ce moment ?

« Le cercle des derniers libraires », de Sylvie Baron. Tous les matins, je m’efforce de lire trente minutes à voix haute. Je n’ai pas encore l’aisance de ceux qui peuvent anticiper les mots. La voix haute m’oblige à faire plus d’efforts et je m’améliore. Mes enfants, eux, ont suivi des études supérieures. Chez nous, le cercle de l’illettrisme est brisé et j’en suis fière. Je suis même devenue ambassadrice du programme national de lutte contre l’illettrisme (2). En revanche, j’ai peur pour les années à venir. Je pense que le fossé social va se creuser de plus en plus et que l’illettrisme fera des ravages. La dématérialisation des démarches, sur ordinateur, et donc par écrit, va briser des quantités de gens si on ne fait rien.

Pratique

1 « J’ai appris à lire à 50 ans ». Éditions Prisma, 14,95 €.

2 En France, 2,5 millions de personnes souffrent d’illettrisme, soit 7 % de la population. Numéro vert : 0 800 11 10 35.

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