Suite à la Visite du Musée Le Gall une autre note de Yvon du Télégramme du 5 janvier 2015

Maria Prad. Bigoudène à Quiberon


Port-Maria dans les années 1920-30. En haut à droite, Maria Prad en 2003, à l’âge de 95 ans et, en bas, à l’âge de 10 ans, en 1918, avec la coiffe bigoudène de Léchiagat (Finistère).

Dès les débuts du XXe siècle des Bigoudens sont venus pêcher à Quiberon, quand la sardine se faisait rare par chez eux. Au point qu’une véritable communauté s’est créée et que des familles entières s’y sont installées. Notamment Maria Prad (1908/2005) dont nous publions le témoignage ici, recueilli par son neveu Yann Bijer et traduit du breton par ses soins.

Maria Prad est née à Léchiagat en 1908. Elle est morte à Quiberon en 2005. À 15 ans, elle a rejoint Quiberon avec toute une équipe de filles de Léchiagat, en pays bigouden, pour devenir ouvrière d’usine, sardinière, dans les « fritures à sardines » de l’époque. Ses propos ont été recueillis en 2002 par son neveu, l’écrivain bretonnant Yann Bijer*.

Pénurie de sardine en pays bigouden

« En général, la pêche à la sardine débutait au mois de mai, lorsque la pêche au grand maquereau se terminait. Encore fallait-il que les bancs de sardines se soient suffisamment rapprochés de nos côtes, ce qui n’était pas le cas tous les ans. Il y eut des années, aux dires des anciens, 1902 et 1903 entre autres, où aucun pêcheur bigouden n’avait vu couleur de sardines sur nos côtes. Les anciens disaient aussi que la sardine faisait chaque année un très long voyage et qu’elle venait depuis les côtes de Galice, en Espagne, jusque dans les parages de la rade de Brest. Dès le mois de mai, le poisson bleu– argenté se laissait apercevoir sur les côtes de Vendée. Aussi, bien avant la Grande Guerre de 1914, les patrons-pêcheurs de Léchiagat et du Guilvinec avaient-ils pris l’habitude d’aller, avec leurs équipages, pêcher la sardine à Quiberon, à Belle-Ile, au Croisic et plus loin encore sur les côtes de Vendée.

Cap sur Quiberon

« En 1915, ma mère, Anna Monfort était veuve. La guerre, dans l’enfer des Dardanelles, nous avait pris notre père Jean-Thomas Le Prad. Fort heureusement, ma mère put confier les filets de son défunt mari aux autres hommes de la tribu Prad. Pour ses filets de veuve, elle touchait donc une demi-part. La vie n’était pa facile. Mais j’avais grandi. J’étais devenue une jeune fille. J’avais quinze ans. Je souhaitais pouvoir aller travailler dans les fritures comme les autres femmes du pays. Mais nous habitions à la pointe de Léchiagat et toutes les fritures se trouvaient sur l’autre rive du port, au Guilvinec. Tant et si bien, ou si mal, que lorsque la corne des usines sonnait pour appeler les ouvrières au travail nous ne pouvions nous y rendre, c’était trop loin : seules les premières arrivées étaient embauchées.

Cependant, un jour de juin, en 1923, vint à la maison, au volant de son automobile s’il vous plaît, M. Le Drézen, gérant de la conserverie Aubin-Salles du Guilvinec. Il était venu informer ma mère de ce que les gérants des fritures à sardines de Port-Maria de Quiberon cherchaient des ouvrières pour aller travailler sur place. J’étais contente d’y aller. C’était pour gagner des sous. Je fus donc envoyée ».

Un voyage en train

« Mais je n’étais pas seule. Nous étions toute une bande de filles de Léchiagat à nous y rendre. Il y avait dans notre groupe Tréfina Palud et sa sœur Koñtinig, Marie Stéphan, Anna Péron, Alice et Rozenn Nédélec, Koñtinig Pêr-Jañ et ses deux filles : Sylvie et Cécile et qui sais-je encore ! Les marins se rendaient à Quiberon en bateau, mais nous c’est en train que nous fîmes le déplacement ! Le voyage dura toute une journée, jamais je n’étais allée aussi loin ».

Les sardinières au travail

« Les conserveries étaient nombreuses à Port-Maria de Quiberon, dans les années 1920, sous les enseignes : Amieux, Philippe, Jourdan, Peneau, Delory, Hilliet, Tanter et combien d’autres ! Je fus affectée à la conserverie Philippe. Le travail ne manquait pas. Tout le monde sur le pont, comme on dit, pour étêter les sardines, nettoyer, parer, emboîter et travailler dans la saumure, la friture, l’huile et la vapeur… et souvent jusque très tard dans la nuit.

Nous étions, toutes les filles, logées ensemble dans une baraque, sur un sol battu, que le gérant de la conserverie avait préparée pour nous. Les lits étaient placés sur deux rangées, côte-à-côte. Nous étions pourvues, chacune, d’une caisse à sardines, vide évidemment, pour y ranger nos habits, notre coiffe et ses lacets, le miroir, le peigne et notre bout de pain. Chacune devait acheter son pain. Par ailleurs, nous étions
nourries sur le compte du gérant de la conserverie. C’est Koñtinig Pêr-Jañ qui nous faisait la cuisine ».

Régime fayots !

« Je me souviens de notre première semaine à Quiberon, moi qui appréciais tant le poisson avec les pommes de terre !

Toute cette première semaine nous n’avons mangé que des fayots… j’en étais malade ! Mais que veux-tu, mon neveu, quand vous êtes jeune vous devez aller où l’on vous envoie. Nous étions à Quiberon jusque-là Toussaint. Ensuite nous revenions à Léchiagat. Ma petite paie de « sardinière » a bien aidé ma mère et j’en suis fière. Le cheval va là où il trouve son avoine. Ma vie s’est déroulée à Quiberon. Je m’y suis mariée en 1928. Il y avait, en ce temps-là, plus de 120 bateaux qui pratiquaient la pêche à la sardine, pendant l’été. Et les jeunes marins des équipages, grand Dieu ! »

Le dimanche soir, bal chez Nini

En semaine, les équipages dormaient à bord, afin de lever l’ancre dès le point du jour. Mais le dimanche soir, c’était le bal, chez Nini, une salle à danser dans le haut de la ville, à côté de l’Hôtel de France.

J’y ai rencontré mon petit charme, un jeune marin du Guilvinec : Pierre Le Roux. Notre noce a eu lieu à Quiberon. Nous y avons vécu toute notre vie. Nos deux filles y sont nées et nous avons fait construire notre maison à Beg-er-Lann, sur les hauteurs de Port-Maria. Et combien d’autres, originaires du Pays bigouden, n’ont-ils pas fait comme nous à Quiberon, au Croisic, à Belle-Île ou aux Sables-d’Olonne.

Ainsi va la vie… »

* Ce récit recueilli par Yann Bijer est paru dans l’hebdomadaire en breton Ya ! le 10 octobre dernier
et a été traduit en français par ses soins. Écrivain bretonnant, Yann Bijer a publié, notamment, Avel Gornôg (Ed. Al Liamm – 2007) où il retrace la mémoire de sa famille en Pays bigouden, mais aussi les saisons effectuées à Quiberon

Maria Prad en dates

1908 : naissance à Léchiagat.
1915 : décès de son père, Jean Thomas, au front (Dardanelles).
1923 : premier séjour à Quiberon pour travailler dans une sardinerie.
1928 : mariage avec Pierre Le Roux et installation à Quiberon.
2005 : décès.
2007 : Son neveu Yann Bijer édite Avel Gôrnog, roman en breton qui retrace la vie familiale en Pays bigouden, et se termine à Quiberon. Éditions Al Liamm. Ce livre a reçu le prix Langleiz. En 2012, Yann Bijer a reçu en 2012 le prix Sten-Kidna le long cours du Bono, remis par un jury de lecteurs bretonnants du pays d’Auray, pour un autre roman, Torrebenn, qui évoque le soulèvement des Bonnets rouges en 1675.

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