Réformer l’Islam ou réformer la relation avec l’Islam ?

Mediapart31 juil. 2016 | Par Yasser Louati ­  Mediapart.fr

C’est reparti pour le cirque des donneurs de leçons aux musulmans. Les uns leur demandent encore de se désolidariser, les autres de se « réformer ». Bizarrement, ou plutôt comme toujours, les premiers concernés sont absents et ceux qui parlent sont totalement déconnectés des réalités des citoyens de confession musulmane. Et finalement pourquoi pas, chiche ?

Bien que les criminels qui ont sévit étaient ignorants en terme d’enseignement religieux. Bien qu’une personne éduquée religieusement a peu de chance de se faire avoir par les thèses des groupes terroristes. Bien que la radicalisation se fait en dehors des mosquées ou de la “communauté” mais sur internet, dans les prisons et dans des lieux de rassemblement clandestins…et donc hors de contrôle de la « communauté ». Bien que cette nouvelle « polémique » n’est qu’un écran de fumée pour ne pas répondre des échecs de l’Etat à commencer par Manuel Valls (Cf: bilan depuis son arrivée à Matignon). Bien que l’Etat n’a pas à s’ingérer dans les affaires internes d’une religion, loi de 1905 oblige; prenons les donneurs de leçons au mot sur la réforme des institutions musulmanes qu’il balancent en plein deuil national (pour que le lien soit établi entre Islam et ce que nous vivons tous):

Valls veut « réformer » les institutions musulmanes. Chiche?

  1. On cesse de bloquer l’autonomie du culte musulman vis à vis de l’état
  2. On cesse de manipuler la laïcité pour en faire un outil de d’exclusion et de domination des citoyens des confession musulmane. Mettre fin à la nouvelle laïcité telle que théorisée par François Baroin en 2003 et retour à la laïcité originelle.
  3. On cesse de manipuler les questions d’identité nationale pour exclure et diaboliser les citoyens de confession musulmane.
  4. On laisse les diplômés des instituts d’enseignement des sciences islamiques basés en France prendre la relève car eux seuls sauront faire émerger un islam de France autonome.
  5. L’Etat cesse de s’ingérer en nommant les représentants des citoyens de confession musulmane
  6. L’Etat cesse de signer des conventions avec des pays étrangers pour importer des imams probablement compétents chez eux, mais totalement déconnectés des réalités françaises sans même parler de la maitrise de la langue.
  7. Les médias cessent de donner la parole à des personnes illégitimes pour parler au nom des musulmans, en tant que musulmans ou “expert” de l’Islam. Porter un prénom musulman ne rend pas expert en “islam” tout comme s’appeler Francois ne rend pas expert en droit français.
  8. Les maires cessent de s’ingérer dans les affaires de la mosquée locale (ex à Athis­Mons où la maire (LR) Christine Rodier: « je préfère que la mosquée soit sous contrôle du consulat marocain, comme ça je me ferais inviter » (2014))
  9. Les citoyens de confession musulmane choisissent eux ­mêmes leurs représentants qui en retour leur rendent des comptes.
  10. La gestion des mosquées devient supervisée par les fidèles, pas l’état, pas le consulat, pas le maire.
  11. On arrête de bloquer les projets de mosquées comme l’a fait Christian Estrosi à Nice pour l’Institut Ennour ou comme le fait le FN dans les villes qu’il contrôle
  12. Si une/des institutions émergent par le choix autonome des citoyens de confession musulmane de ce pays, alors ses représentants auront la légitimité nécessaire pour parler et agir de manière efficace et l’Etat aura un partenaire fiable.
  13. On Cesse de diaboliser les représentants religieux pour ne pas torpiller leur travail de terrain.
  14. Accessoirement, on cesse de faire porter aux musulmans la responsabilité des bombardements à l’étranger, le soutien aux dictatures ou d’être la raison des malheurs d’autres peuples qui finissent par nous reprocher ce que nous leur faisons subir.

Cette question de « réformer » « l’islam de France » est une tarte à la crème par chaque gouvernement de gauche comme de droite depuis plus de vingt ans. Tant qu’on violera la laïcité à de mise sous tutelle du culte musulman, tant qu’on refusera aux citoyens de confession musulmane le droit de gérer les affaires internes à leur culte de manière autonome, indépendante et sans ingérence de l’Etat alors toutes ces initiatives ne sont que gesticulations pour divertir l’opinion publique. Là où l’incompétence rejoint le cynisme de Manuel Valls, c’est qu’au lieu de questionner les échecs de l’état en matière de lutte antiterroriste, on questionne la gestion du culte musulman. Tant que le culte musulman sera mis sous tutelle de l’état, on ne pourra blâmer les musulmans et les tenir pour responsables, que ce soit de manière directe ou indirecte.

L’idée d’un Islam de France telle que promue par l’Etat français depuis des décennies n’est qu’un projet de domestication de ce dernier et donc vouée à l’échec. L’Islam de France ne sera un concept viable et légitime que si ce dernier aura droit à la plein autonomie de gestion. A défaut, nous ferons encore face aux pratiques de l’Algérie Française avec d’un côté des musulmans qui demandent l’application de la laïcité comme le firent Cheikh Brahimi et Ferhat Abbas et d’un autre, une administration coloniale qui refuse pour maintenir les musulmans et leurs institutions sous contrôle.

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Boite Noire

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