Petit manuel pour une Laïcité Apaisée

Le 7 décembre dernier, un arrêté, signé par le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin, annonce un virement de crédits. Vingt millions d’euros d’engagement sont annulés sur la dotation de l’enseignement public du second degré. Sur cette somme, dix millions sont reversés à l’enseignement privé du premier et du second degré.

L’école publique serait-elle si riche qu’il faille à nouveau rogner sur le principe de séparation des églises et de l’État pour qu’on finance ainsi l’enseignement confessionnel ? La réalité est que, même quand les budgets ont comptablement augmenté lors de la dernière décennie, les hausses n’ont jamais couvert l’augmentation démographique. Les réformes (rythmes scolaires, collèges, enseignement prioritaire, lycées…) se sont faites dans le meilleur des cas à moyens constants, la plupart du temps en baissant les moyens.

Passée sous silence par celles et ceux qui défendent une vision dévoyée de la laïcité exclusivement tournée contre l’islam et les usager-es des services publics assigné-es à cette religion, la question des financements publics de l’école privée est pourtant cruciale. Directement liée a à la défense de la laïcité mise à mal par le gouvernement, elle pose immédiatement l’enjeu de l’égalité. Non pas de cette égalité toute abstraite, qu’on invoque en bombant le torse sur un plateau télévisé. Mais bien une égalité concrète, qui se défend, se vit et se pratique au quotidien.

L’école de la République est l’école des inégalités. La Cour des comptes l’a documenté en 2012. En 2015, le défenseur des Droits, saisi par des parents d’élèves de Saint-Denis, a décrit « une rupture du principe (…) d’égalité des usagers devant le service public. » Postes non pourvus, professeur-es non remplacé-es, locaux et matériels vétustes, sureffectifs dans les classes, surveillant-es et agent-es d’entretien en moins, obligations de la médecine scolaire non remplies : dans les territoires abandonnés par la République où nous enseignons, nous ne considérons pas que dix millions d’euros soient un luxe. Surtout s’il s’agit de les reverser à des écoles privées en majorité catholiques qui font payer les familles pour garantir le droit à la scolarité.

La question du financement de l’école privée ne se limite pas à l’État. Il est temps d’avoir un débat national sur les subventions apportées par les collectivités territoriales à l’enseignement confessionnel ou assimilé. Issu de la mouvance de la Manif pour tous, cautionné par Emmanuel Macron qui s’est affiché à ses côtés lors de la présidentielle, ou par le ministre Jean-Michel Blanquer qui avait participé à un de ses colloques en 2016, le réseau Espérance Banlieue est un bon exemple des atteintes à la laïcité dont se rendent responsables les élu-es de ces collectivités. Le conseil régional, d’Ile-de-France présidé par Valérie Pécresse, lui a attribué une subvention de 50 000 euros, alors même qu’il supprime de nombreux postes d’agents d’entretiens dans les lycées publics de la région parisienne, notamment dans le 93 ; en Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez a versé 260 000 euros à cette structure sous influence du catholicisme le plus réactionnaire et au cœur de nombreuses polémiques sur le traitement des enfants et la piètre qualité des enseignements.

Comment peut-on se réclamer des combats laïques et passer sous silence les détournements de l’argent public dont se rendent responsables ces élu-es et le gouvernement ? Face à l’urgence d’un tel débat, le ministre s’est contenté de faire diversion. A quoi bon des « unités laïcité » quand il existe déjà des « référentEs laïcité » ? Quel sens cette mesure a-t-elle quand la politique budgétaire est anti laïque ?

L’autre annonce a concerné les sorties scolaires. Et les propos du ministre, favorable à l’exclusion des mères portant un voile, n’ont pas manqué de réveiller les habituel-les polémistes islamophobes, de l’extrême-droite ou de groupes dits « républicains », qui contribuent, depuis deux décennies, à masquer les inégalités structurelles au sein de l’école, à empêcher tout débat public sur les atteintes réelles à la laïcité – comme l’est le décret du 7 décembre – tout en stigmatisant des mères d’élèves soucieuses de la scolarité de leurs enfants et engagées dans une relation constructive avec l’école de la République. Nous appelons médias, intellectuel-les, professionnel-les de l’éducation et responsables politiques à en finir avec cette fausse laïcité, qui n’est qu’un masque d’un racisme profond dont nous devons toutes et tous prendre la mesure pour le combattre. Nous appelons aussi à un débat centré sur les questions prioritaires de l’école : celle des moyens, des inégalités structurelles de l’école et du financement public de l’école privée.

Anaïs Flores, Paul Guillibert, Jérôme Martin et Florine Leplâtre sont des enseignant-es membres du Cercle des enseignant-es laïques et co-auteur-es du Petit manuel pour une laïcité apaisée (Editions La Découverte ; 2016)

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