Le voile dans l’entreprise, retour sur un raccourci médiatique

Jean-Louis Bianco

Mars 2017

Le 17 mars dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu deux arrêts importants sur deux affaires, l’une belge et l’autre française, concernant deux salariées portant un voile sur leur lieu de travail. Les médias en ont conclu à une interdiction du voile dans l’entreprise.

Président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco revient sur ce raccourci médiatique.

Beaucoup a été dit et écrit à propos de ces deux arrêts. Nous pouvions ainsi entendre sur les ondes : « Faut-il interdire le voile islamique en entreprise ? Oui, dit l’Union européenne ! » La question posée à la Cour n’a jamais été celle-ci. Dans le cas français, il s’agissait de savoir si le souhait d’un client de ne plus voir ses services assurés par une personne portant le voile était conforme à la directive 2000/78/CE. Second raccourci, la réponse a été apportée, non par l’Union européenne, mais par l’une de ses sept institutions qui veillent à l’application du droit communautaire.

Qu’a donc dit la Cour ?

À aucun moment que l’on pouvait interdire le voile (et donc également tout autre signe religieux ou convictionnel) en entreprise sans justification. Dans le cas français, la Cour distingue deux cas de figure :
• Soit il existe dans l’entreprise une règle interne prohibant le port visible de signes de toute conviction dans la relation avec les clients et dans l’intérêt économique de l’entreprise : il faut alors vérifier si elle est « cohérente » c’est-à-dire indifférenciée, n’instaure pas de différences de traitement fondées sur une conviction, à moins qu’elle soit « objectivement justifiée », « appropriée et nécessaire ».
• Soit il n’existe pas de règle interne « cohérente » : il faut alors vérifier si l’interdiction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

En l’espèce, la Cour répond que l’interdiction d’un signe convictionnel ne saurait reposer seulement sur des « considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client ». Le paradoxe est que, si la Cour de cassation française suit cet arrêt, elle devra casser le licenciement de la salariée française, parce que sans cause réelle et sérieuse.

S’ils précisent le droit positif français, ces arrêts ne le changent donc pas. Celui-ci permet déjà d’encadrer ou d’interdire le port d’un signe d’une conviction si cela est justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché. Six critères permettent une application très concrète. Dès 2013, année de son installation, l’Observatoire de la laïcité les a expliqués et développés dans son guide à destination des managers de terrain : Gestion du fait religieux dans l’entreprise privée (www.laicite.gouv.fr).

Autre point à prendre en compte en matière religieuse : les décisions des juridictions nationales peuvent être différentes entre la Belgique et la France. En effet, la Belgique connaît un système de « laïcité organisée » qui considère la laïcité comme une conviction (libre-penseur, agnostique ou athée) et comporte la reconnaissance de la notion d’« entreprises de tendance », notamment « laïques », synonymes de « neutres ». Or, en France, la laïcité n’est pas réductible à une « tendance » ou une « conviction » mais est un cadre commun à tous, que l’on soit croyant ou non.

Mais tout cela n’allait pas dans le sens de tous ceux qui, méprisant le sens réel de notre système laïque, veulent étendre toujours plus loin la sphère de la neutralité au risque de remettre en cause l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

JEAN-LOUIS BIANCO

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