L’éclairage d’une historienne sur la polémique du burkini

La polémique du burkini illustre une « obsession vestimentaire » autour du religieux dans l’espace public qui revient de façon récurrente en France depuis le début du XXe siècle, explique Valentine Zuber, historienne à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) et spécialiste de la laïcité.

 

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La polemique du burkini

Des modèles musulmanes portent le burkini dans une boutique australienne.

ILLUSTRATION AFP / SAEED KHAN

L’éclairage d’une historienne spécialiste de la laïcité sur la polémique du Burkini, en trois questions qui cristallisent le débat sur ce vêtement de plage à connotation religieuse.

Dans quel contexte la polémique sur le burkini s’inscrit-elle ?

On est dans la logique des débats qu’on a vu resurgir ces trente dernières années, depuis l’expulsion des collégiennes voilées à Creil en 1989 jusqu’à la loi de 2010 interdisant le port du voile intégral. Ce que pose la polémique actuelle, c’est la question de la visibilité du vêtement religieux dans l’espace public, tout particulièrement musulman. En France on ne voit plus de soutane, ni de religieuses avec le voile, et on a perdu l’habitude de cette visibilité religieuse. Il se concentre donc sur les vêtements portés par les femmes musulmanes.

Mais cette obsession vestimentaire remonte en fait à beaucoup plus loin: au début du XXe siècle déjà, dans un contexte de sécularisation autoritaire des congrégations religieuses, l’abandon de l’habit religieux était obligatoire pour les soeurs qui voulaient continuer d’enseigner. Après la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, quelques maires avaient tenté, sans succès, de faire interdire le port de l’habit religieux dans l’espace public…

Aujourd’hui le débat se concentre sur le burkini et la burqa tout simplement parce que le hijab commence à passer dans les moeurs, et qu’il y a une sorte de surenchère dans l’affirmation identitaire, avec l’apparition de nouveaux vêtements religieux comme la burqa ou le burkini, qui suscitent une crispation chez les laïcs.  

Le regard sur la femme est donc central…

On est dans la même logique qu’avec le voile : empêcher l’affichage d’un signe lu comme d’asservissement de la femme. Les propos de la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol sont très clairs là-dessus. On part du principe que les femmes sont opprimées, qu’elles n’ont pas de liberté de choisir, qu’elles sont sous l’emprise de leur mari ou de leur père… Ces présupposés paternalistes ne datent pas d’hier. La laïcité française s’est longtemps construite contre les femmes.

La France est l’un des pays d’Europe qui a mis le plus de temps à donner le droit de vote aux femmes, et il y a une méfiance du féminin qui est partie intégrante d’une certaine logique républicaine considérant les femmes comme d’éternelles mineures, incapables d’avoir un jugement personnel, voire de s’émanciper.  

Peut-on concilier féminisme et religion?

Les féministes en France se sont emparées de la laïcité au nom de la défense des droits des femmes, face à une morale catholique encore très normative. La même logique d’émancipation a conduit une partie d’entre elles à s’opposer fermement au voile islamique — reproduisant, paradoxalement, un regard paternaliste pour imposer aux femmes la voie de leur émancipation. Mais il existe un féminisme musulman, tout comme il existe un féminisme qui se manifeste dans toutes les religions, que ce soit chez les protestants avec le Mouvement Jeunes Femmes qui avait été précurseur du planning familial, le Comité de la jupe chez les catholiques, divers mouvements chez les juifs…

L’idée d’un féminisme religieux va de soi dans les pays anglo-saxons, mais reste difficile à comprendre en France, où le religieux est vu comme le côté sombre, irrationnel, de la raison et de l’émancipation individuelle. Il ne faut pas oublier qu’il y a plusieurs voies d’émancipation. Ces jeunes femmes qui prônent un féminisme islamique veulent prendre leur vie en main en trouvant dans la parole religieuse la voie de leur émancipation. Et certains théologiens musulmans très avertis disent que le voile n’est pas obligatoire. Il y a une diversité de discours et de pratiques et certains vivent très bien leur islam sans avoir à exhiber leur religiosité.

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