L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire

Claude Lelièvre : « L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire »

Comment mettre en perspective les questions éducatives qui agitent médias et politiques ? Claude Leliève, historien de l’éducation et professeur émérite de l’Université Paris V, réussit le défi. En 52 chapitres et 300 pages fluides, il revient sur les débats contemporains pour en donner les origines, confronter les paroles d’aujourd’hui aux écrits d’hier. Il est question (liste non limitatives) des femmes et de leur place dans l’Ecole, de l’opposition pédagogues / républicains, des fondamentaux, du roman national, de la laïcité, des uniformes scolaires, des vacances ou encore des retraites enseignantes. Sur chaque sujet, quelques pages reviennent à l’origine, citent les sources et remettent les pendules actuelles à l’heure. La lecture est facile et agréable. Au passage on apprend beaucoup et on a des surprises, comme la révélation de la tricherie au bac d’un certains Georges Pompidou. Impossible de revenir sur tous les thèmes de cette histoire de l’Ecole à l’usage d’aujourd’hui. Claude Lelièvre revient pour nous sur quelques questions.

L’ouvrage se défend d’être un livre d’actualité. Pourtant de nombreux sujets abordés renvoient à l’actualité la plus récente. L’Ecole ferait-elle du surplace ?

Le livre parle de l’Ecole d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire. Il est donc bien question d’actualité. Mais ce n’est pas un livre de combat. Il éclaire les débats actuels en prenant de la profondeur historique. Je me suis centré sur les polémiques sur l’Ecole en laissant des pans entiers de l’histoire de l’éducation. Je n’entre pas dans la polémique vis à vis de tel ou tel.

Par ailleurs je ne pense pas que l’Ecole fasse du surplace. Evidemment il n’arrive jamais que tout change. Et on a souvent l’impression quand on est sur le terrain que les choses ne changent pas vite. Si on prend par exemple la démocratisation de l’Ecole. Il y a des changements dans la façon dont on la considère. La démocratisation voulue par Jean Zay apparaitrait aux hommes d’aujourd’hui comme celle de N Sarkozy. Alors que dans son contexte, il était à l’avant garde. La question de l’égalité des filles est probablement celle où il y a eu le plus d’évolution, même si des inégalités existent toujours. Donc on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de changement ou qu’il y a un éternel retour.

Le livre revient sur le fameux clivage républicains / pédagogiques. Pour vous c’est une fausse opposition ?

Mon livre a comme sous titre « Surprises et contre vérités historiques ». Et je l’ai conçu comme une « histoire de l’éducation pour les nuls ». Une des contre vérités c’est cette opposition. C’est une pure invention qui ne tient pas la route comme je le montre dans le livre.C’est un éternel recommencement depuis 40 ans, comme quoi les contre vérités peuvent avoir la vie dure.

La même analyse vaut pour les fondamentaux ?

Là aussi dire que l’école républicaine était centrée , en particulier par Jules Ferry, sur les fondamentaux est une contre vérité. Ferry n’arrête pas de dire que l’école républicaine se distingue par tout ce qui est ajouté au lire, écrire, compter. Il s’est intéressé à la pédagogie.  Se focaliser sur les fondamentaux c’es revenir à l’école ante républicaine. C’est le cas de certaines politiques mises en avant ces dernières années.

Je voudrais revenir sur un point précis : les dictées. Je me rappelle que lors de la présentation de nouveaux programmes du primaire aussi bien N Vallaud Belkacem que JM Blanquer ont surtout parlé dictée et calcul. La dictée c’est républicain ?

La dictée comme exercice très important est apparue sous Guizot, sous la Monarchie de juillet, 50 ans avant Ferry. La période ferryste est pas du tout favorable à cette focalisation dur la dictée. Ferry lui-même s’en prend à sa place dans le recrutement des instituteurs. Son successeur essaie d’affaiblir la position centrale de la dictée dans le certificat d’étude. Mais il n’y arrive pas.

L’ouvrage aborde la question de la laïcité. Est-on toujours dans le même débat entre l’influence religieuse et l’indépendance de l’Ecole ?

La séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 est préparée par celle qui a lieu dans l’Ecole avec J Ferry. La séparation commence pour l’Ecole bien avant celle entre l’Eglise et l’Etat. C’est que l’Eglise au moment où les républicains prennent le pouvoir est politiquement anti-républicaine. Pour sa pérennité la République comprend qu’elle doit faire des républicains. C’est unvéritable engagement politique, fort. Jamais Ferry n’a considéré que l’Ecole ne devait pas faire de politique. Elle devait au contraire imposer dans les têtes les idées républicaines qui n’étaient partagées à l’époque que par la moitié des Français. La question de la laïcité était avant tout une question politique.

Ferry martèle que la religion catholique mérite le respect. Mais il est contre le catholicisme politique. Il est anti-clérical, pas anti religieux. C’est une position dont on devrait bien s’inspirer aujourd’hui. J Ferry ne voulait pas contrarier les religions : il envisageait même le catéchisme dans les locaux scolaires. Mais la religion n’est plus dans les programmes et le personnel n’a pas à faire de profession de foi religieuse ou d’éducation religieuse.  Les lecteurs auront des surprises sur cette question car je donne dans le livre de nombreux textes pour juger sur pièces…

Le livre accorde une grande place à l’égalité entre les femmes et les hommes et la place des femmes dans l’Ecole. La marche a été longue vers le progrès ?

En ce qui concerne la carrière scolaire des femmes il y a eu des changements prodigieux lors du dernier siècle. Leur carrière était différente et en leur défaveur. Elle peut aujourd’hui être différente mais en leur faveur, même s’il reste des territoires à conquérir.

En revanche , la lutte contre les stéréotypes sexistes n’a pas vraiment été menée par l’école. On est passé à la mixité pour des raisons administratives. Mais sans revenir sur cette base idéologique. Cela se paye aujourd’hui. J’ai déjà consacré deux livres à cette question et je reviens sur ce sujet dans cet ouvrage. Il y va de l’orientation de notre école qui n’a pas fait sur ce point son aggiornamento.

L’héritage le plus important de l’Ecole républicaine n’est ce pas son centralisme ?

Ce centralisme ne vient pas de l’école républicaine mais de l’organisation de l’école voulue par Napoléon 1er puis approfondie par Guizot et reprise par Ferry. La grande question des politiques du XIXème siècle était d’achever la Révolution, dans tous les sens du mot. De Napoléon à Ferry ils pensaient que le vecteur principal pour pérenniser leur régime politique c’était l’école. Celle ci devait donc être centralisée. Ferry dit que  si l’Etat s’occupe de l’Ecole ce n’est pas pour faire des mathématiciens mais pour son intérêt propre.

Nous sommes les héritiers de cette situation en en ayant oublié le pourquoi. Un des aspects de cette question qui m’agace , c’est le fait que de nombreux politiques mettent l’adjectif « républicain » là où il ne faut pas. A les entendre le bac est républicain, l’agrégation républicaine. La République n’a rien à voir avec ça. Le livre veut justement montrer ce que veut dire « républicain ». Je montre d’où ça vient pour éclairer les débats actuels.

J’ai envie de vous poser une question d’actualité. La loi Reilhac vient de donner de l’autorité aux directeurs d’école. Est-ce une rupture avec une pratique républicaine ?

L’enseignement supérieur, puis le primaire à partir de la IIIème République ont toujours eu des directions collégiales. La grande exception où on veut un chef, c’est le lycée qui a été créé par Napoléon avec une organisation sur reflète celle des 3 consuls de la république. Il y a le 1er consul, le proviseur, et les deux autres, le censeur et l’intendant. Napoléon a mis fin à ce qui se passait dans les « écoles centrales » , préexistantes aux lycées, qui avaient une direction collégiale. Dire que la direction doit être faite par un chef d’établissement est donc plus d’ordre impérial que républicain.

Il y a eu plusieurs offensives pour mettre des direction de type secondaire dans l’enseignement primaire par exemple sous Chirac avec Monory comme ministre de l’éducation. Ca a finalement été défait par Jospin. La droite  a une plus bonapartiste que républicaine. Cette inflexion ne va donc pas dans un sens républicain.

Propos recueillis par François Jarraud

Claude Lelièvre. L’École d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire. Odile Jacob.

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